Voisinance

"Entretenir une "bonne voisinance"

Le 08/11/2024

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  • Université de Franche-Comté - Besançon

Entretenir une "bonne voisinance" 
La relation diplomatique entre le comté de Bourgogne et les cantons helvétiques après la surprise de Besançon (1575)
une communication de Maxime Ferroli
(l'heure et le lieu exacts seront précisés ultérieurement)
dans le cadre de la Journée d'étude

La Suisse comme champ de forces
(voir ci-dessous)

Université de Franche-Comté 25000 Besançon

Journée d'étude

La Suisse comme champ de forces
Compétitions et lutte d’influence en Suisse pendant les guerres de Religion (v. 1560-v. 1600)

La journée se tiendra le 8 novembre 2024 à Besançon l’université de Franche-Comté
Organisateurs :
Gary Alardin, doctorant en histoire moderne à l’université de Franche-Comté, sous la direction d’Hugues Daussy (Centre Lucien Febvre, EA 2273)
Damien Fontvieille, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Franche-Comté (Centre Lucien Febvre, EA 2273)

         Dans la seconde moitié du xvie siècle, les cantons suisses et les ligues grisonnes, partagés entre territoires catholiques et protestants, deviennent un espace de concurrence diplomatique majeur. La France entretient des liens privilégiés avec les Suisses depuis la Paix perpétuelle de 1516 et le traité de 1521. Son influence s’est construite autour d’une précoce représentation diplomatique permanente à Soleure et à Coire pour les Grisons. Patiemment bâtie par la diplomatie depuis le début du siècle, sa position est fragilisée par la rébellion huguenote qui éclate en 1562. À la recherche de troupes pour mener la guerre, les deux camps se disputent les mercenaires suisses qui forment alors, « l’ossature » (D. Potter) de l’infanterie française et sont des soldats de valeur convoités par les États européens. L’accès à ce vivier militaire repose sur la capacité du roi à gagner et à conserver la fidélité des grandes familles patriciennes qui occupent les principales charges militaires. Pour cela, ses agents mobilisent différents leviers, en particulier la distribution de pensions et d’honneurs aux membres éminents de ce patriciat. La foi catholique est aussi un support de solidarité commun entre les cantons centraux et le Très-chrétien. Ce dernier s’assure parallèlement la neutralité des cantons protestants par une politique de médiation envers la Savoie et l’Espagne. La rivalité diplomatique entre la monarchie et les huguenots, qui mènent une « diplomatie rebelle », mais aussi la crise des finances royales épuisées par les guerres successives, fragilise l’équilibre de ce système d’influence complexe, désormais vulnérable aux ambitions d’autres puissances.
        Sur le plan international, le monopole politique et militaire de la France en Suisse est un privilège jalousé par les autres monarques européens, notamment le roi d’Espagne Philippe II. Ce dernier tente de nouer des relations avec les cantons en exploitant les défaillances françaises aggravées par les guerres civiles. L’objectif est double pour la diplomatie espagnole. Il s’agit de lever à son tour des troupes suisses pour alimenter la guerre contre les révoltés des Pays-Bas tout en sécurisant « le chemin espagnol » entre le Milanais et les Flandres. La diplomatie espagnole mène à partir de la décennie 1560, une politique volontariste sans toutefois réussir à briser complètement l’influence française. Une première alliance défensive est conclue en 1587 avec sept cantons catholiques à l’exception de Soleure qui reste dans le giron français. En 1604, la sécurité de cette route stratégique est renforcée par la conclusion de la Ligue d’Or, octroyant un droit de passage aux troupes espagnoles par les cantons catholiques. À ces ambitions, il faut ajouter celles de la Savoie de Philibert-Emmanuel qui a noué une alliance avec les cantons catholiques en 1577. Par ce biais, il espère établir une domination sur Genève en l’isolant diplomatiquement.
         Cette histoire a été scrutée par une riche historiographie, notamment les travaux d’Édouard Rott au début du xxe siècle. Il a retracé précisément les relations entre la France et la Suisse, en jetant les bases d’une histoire internationale de cette union diplomatique et militaire. Son étude a été récemment prolongée par celle d’Alexandre Dafflon sur l’ambassade soleuroise et par des commémorations de la Paix perpétuelle de 1516. Les recherches d’Andreas Würgler ont mis en évidence le fonctionnement des diètes suisses et la politique extérieure de la confédération. De son côté, Sarah Rindlisbascher a restitué les conflits entre puissances au sein des cantons et l’arbitrage assuré par la France. Plus récemment, les thèses françaises d’Alexis Vuillez et de Gary Alardin se concentrent sur enjeux politiques et militaires portées par les guerres civiles françaises au sein de l’espace helvétique.
            Au croisement d’une histoire sociale et diplomatique, cette journée d’étude propose d’envisager la Suisse comme un « champ de forces ». Cette expression, empruntée à l’étude de Séverin Duc sur le duché de Milan, porte des problématiques de travail transposables au contexte helvétique. Sur le plan méthodologique, elle cherche à mettre en rapport les acteurs et les stratégies employées pour organiser leur prépondérance sur un territoire donné. Il s’agit de comprendre comment les puissances présentes construisent leur influence en Suisse et par quels moyens. Par des éclairages précis, la journée entend inscrire la Suisse dans la dimension transnationale des guerres de Religion françaises, comme un haut lieu de luttes entre des puissances européennes. Il s’agit d’en dégager les aspects saillants par une analyse croisée des acteurs, de leurs motivations et des stratégies déployées pour accomplir leurs objectifs respectifs.  Il est également indispensable d’interroger en miroir, « l’agentivité » des familles patriciennes qui dominent la vie politique suisse et sont des interlocuteurs privilégiés des ambassadeurs.
        
Plusieurs axes peuvent être envisagés dans cette perspective. En premier lieu, l’observation des hommes et des femmes envoyés en Suisse par les différents gouvernements peut donner lieu à une approche sociale de la diplomatie. L’un des enjeux est d’explorer le « profil » des agents envoyés en Suisse et les motifs pour lesquels ils ont été choisis. Cela passe par une attention particulière aux relations personnelles qu’ils entretiennent dans la Suisse. À ce titre, il pourra être intéressant de se pencher plus largement sur les réseaux tissés par les acteurs concernés et les outils utilisés pour étendre leur influence. Les pensions et leurs logiques de répartition sont un exemple bien documenté pour éclairer ces moyens d’action.

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On peut également questionner le processus de formation des « factions » pro‑françaises ou espagnoles et leurs degrés d’organisation. La pertinence de l’expression peut être débattue car son usage sous-entend l’existence d’une structure politique cohérente agissant au bénéfice de l’Espagne ou de la France. Quelles formes prennent ces « factions » dans un espace divisé politiquement et religieusement comme la Suisse ? Comment bâtir, en outre, des partis durables et les perpétuer, allant au-delà des relations personnelles nouées par l’ambassadeur ? Un tel axe invite à l’examen de trajectoires familiales suisses au service de puissances étrangères, en même temps qu’il conduit à réfléchir aux positions des autorités politiques sur le temps long.
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D’autre part, sur le plan diplomatique, un examen des traités ou des alliances, éphémères ou durables, permettrait d’évaluer les conséquences politiques de cette lutte d’influence sur un plus long terme. L’évolution du prestige et du crédit de la monarchie française en Suisse pourra être abordé au prisme des ruptures politiques à l’œuvre dans le royaume. Elle peut être observée à travers la réception des ambassadeurs par les Suisses lors des diètes ou des assemblées urbaines ainsi que le degré d’hostilité manifesté durant les débats. Par exemple, les massacres de la Saint-Barthélemy en 1572, abîment durablement l’image de la monarchie française dans les cantons protestants. Ces derniers condamnent fermement l’assassinat des principaux chefs du parti huguenot. Après la « frilosité » (H. Daussy) de la décennie 1560, certaines familles protestantes puissantes comme les Diesbach ou les Erlach glissent même vers un soutien militaire actif au profit des huguenots. Motivés par la conviction d’un « péril papiste » commun, ils fournissent d’importants contingents de troupes aux rebelles en 1576 et 1587, avec la complicité non assumée des autorités cantonales. Ces dernières s’engagent dans un jeu d’équilibriste, tiraillé entre la volonté controversée de soutenir le parti huguenot et le désir de préserver leurs relations fructueuses avec le roi de France. Cette histoire, plus politique, conduirait alors à interroger la confessionnalisation des relations avec la Suisse, contribuant également à discuter cette notion si débattue.  
Cette histoire politique ne se limitera pas seulement à la France et il est enfin important de questionner les rivalités entre puissances en Suisse et leur affrontement diplomatique : comment faire prévaloir ses intérêts, s’insinuer dans des espaces déjà largement verrouillés par les adversaires ? La Suisse devient-elle un lieu d’affrontement pour l’hégémonie, entre une France affaiblie politiquement et une Espagne qui jouit alors de la prépondérance ?